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13 janvier 2008

Témoignages de difficultés rencontrées par des parents d'enfants surdoués.

La galère des parents
Etre surdoué, pour un enfant, c'est avant tout être différent. Donc, souvent très mal dans sa peau ; chez soi comme à l'école. Un enfer pour certains parents.
Par Dominique Rizet
[18 juin 2005]


Tous ont vécu la même histoire. D'abord fiers, puis soulagés, tant le terme «surdoué» évoquait pour eux la certitude d'une réussite aussi évidente que facile. Le temps des questions n'est venu qu'ensuite, mais très vite, face à l'ampleur des problèmes que ce diagnostic ne résout pas, ou pire, amplifie. Bien sûr, il en existe qui se contentent de collectionner les carnets de notes élogieux, mais la grande majorité des parents d'enfants précoces ont plutôt le sentiment de piétiner dans un marécage en portant un fardeau. Et de le porter bien seuls.

Contrairement au cliché qui voudrait que tout lui réussisse, l'enfant surdoué se comporte en effet très souvent comme une ancre, tirant l'ensemble du navire familial vers le fond. Et c'est bien de naufrage, ou de galère, dont on peut parler pour certaines familles où l'enfant précoce accapare à lui seul 80% de l'attention et du temps de ses parents, au détriment de ses frères et soeurs.

Dans les Hauts-de-Seine, Colette et son mari ont longtemps cherché avant de trouver ce qui semble être aujourd'hui une solution. Après avoir avancé à tâtons dans les écoles privées et publiques du sud du département, ils ont scolarisé leurs quatre enfants à Gerson, un établissement privé parisien qui propose une «méthode» pour les enfants précoces.

«Mais c'est au prix de quatre heures de trajet par jour minimum, observe Colette, qui a abandonné son métier pour se rendre disponible. Je me transforme quotidiennement en chauffeur de taxi, et je me dois d'être hyperorganisée : lever à 6 h 30, bon petit déjeuner, départ à 7 h 15, arrivée devant l'école vers 8 heures. Un quart d'heure de battement pour les câlins des plus petits. Cantine obligatoire, retour de bonne heure dans l'après-midi car l'école est dans une rue où il faut une demi-heure pour trouver une place de stationnement. Récupération des enfants avec des horaires différents entre le primaire et le collège : la voiture se transforme alors en maison secondaire. Il y a toujours des boissons, à manger, des livres parce qu'il faut que ce soit à la fois un endroit où ils puissent se reposer et se distraire. Durant le trajet retour, les plus motivés apprennent leurs leçons. C'est important car on arrive à la maison à 18 heures et il reste alors peu de temps pour les devoirs. Bain à 19 heures, dîner et extinction des feux à 20 h 30. Nous avons été obligés de nous imposer tous une discipline quasi militaire... Un enfer.»

Neuf fois sur dix, l'école est inadaptée

Colette et son mari ont ainsi tout changé pour s'adapter à la loi d'un seul de leurs quatre enfants : Charles, 12 ans, enfant précoce.

«Charles, c'est un cas plutôt complexe, explique sa mère. Il est toujours tombé sur des enseignants qui ne l'ont jamais compris. En primaire, il a eu trois ans de suite de graves problèmes : le premier de ses instituteurs le frappait, le deuxième l'avait relégué au fond de la salle, la troisième l'humiliait sur l'estrade. Il a enduré de vraies souffrances morales. Nous avons d'abord essayé le privé puis le public, où il avait deux enseignants qui faisaient chacun un mi-temps. L'un hyper rigide, l'autre hyperlaxiste et l'association des deux a été un désastre encore plus grand pour lui. Alors nous l'avons déscolarisé à mi-temps et une psychologue nous a parlé de l'école Gerson. Charles a terminé là son année scolaire. Mon mari faisait les trajets jusqu'à Paris matin et soir pendant que j'allais chercher nos trois autres enfants dans deux écoles des Hauts-de-Seine avec des horaires de sorties décalés. A la rentrée 2002, nous avons décidé d'inscrire tous les enfants avec Charles, à Gerson.»

Aujourd'hui, Charles va mieux.

«Cette école fonctionne comme une famille, résume Colette. Quand Charles est arrivé, toute la classe l'a accueilli. Les élèves sont allés avec lui chercher sa table et sa chaise et, tous ensemble, ils ont discuté pour savoir où on l'installerait. Sa soeur de 6 ans et demi est dans une classe double, un CE1-CE2, où elle a un an d'avance. L'enseignante a suivi une pédagogie pour gérer deux niveaux. Elle a 24 enfants dans sa classe, 12 CE1 et 12 CE2, et part du principe qu'elle n'a pas deux niveaux à gérer mais un niveau par enfant... Ça veut dire qu'elle s'adapte à chaque enfant. Elle sait celui qui pèche, celui qui a besoin de plus d'attention pour démarrer, celui qu'il faut pousser. Cette école sait simplement accueillir et écouter les enfants. J'ai vu mon fils dans la détresse et je l'observe aujourd'hui s'épanouir. Alors, je me fiche des kilomètres. Je ne me pose plus de questions. Je monte dans ma voiture et je pars.»

Autre famille, mêmes problèmes, même casse-tête : Antoine, 11 ans, rend quotidiennement ses parents fous.

«Un calvaire depuis l'école maternelle, raconte sa mère. A tel point que nous aurions pu penser qu'il était bête et ne comprenait rien à ce qu'on lui disait, si nous n'avions pas eu la certitude, nous, ses parents, que c'était faux : il passait son temps à faire des puzzles et nous récitait des poésies par coeur à 3 ans. Il ne posait aucune question existentielle mais avait une mémoire impressionnante. A 5 ans, il nous a demandé à apprendre à lire et il a fait tout le programme du CP en lecture et en maths. C'était une Formule 1 à la maison, mais il tombait en panne en passant la porte de l'école. On lui a fait sauter une classe pendant... trois jours mais il n'avait pas le sens de la discipline, se levait en cours, posait ses pieds sur le bureau et recommençait à sucer son pouce. Alors il est retourné dans sa classe. Au bout de quelques mois, une enseignante a émis l'hypothèse de la précocité. Nous avons d'abord refusé le test et la psychologue, car nous avions une vision erronée de la précocité mais n'ayant pas d'autre issue, on s'est finalement résignés à cet examen. A la sortie, on nous a dit qu'il avait 150 de QI, et puis aussi : «Bon courage».

Il leur en a fallu. A 7 ans, Antoine lisait Croc- Blanc en un week-end. Avant ses 9 ans, il avait lu tous les Harry Potter en quinze jours. Il se cachait sous sa couette, une lampe frontale sur la tête, pour lire pendant la nuit. Il a ensuite avalé les Contes et légendes inachevés et tout Tolkien. Aujourd'hui, il lit en moyenne deux à trois romans par semaine. Mais ses notes à l'école sont toujours aussi catastrophiques...

«Surtout en français, poursuit sa mère. Les mêmes fautes d'orthographe depuis cinq ans, il lui est arrivé d'en faire jusque dans son nom de famille, des phrases de dix lignes sans majuscule ni ponctuation, une incapacité à restituer de façon cohérente... Une année d'avance toujours, mais au prix d'une scolarité qui ne progresse finalement qu'à la maison puisqu'il ne fait rien en classe, sinon jouer avec des bouts de ficelle, rêver, démonter ses stylos, oublier ses affaires et rapporter le pire des cahiers de correspondance. Il est mignon, charmant, répond «oui» à tout mais n'en fait qu'à sa tête et finit par agacer tout le monde. La nuit, à la maison, quand il se lève pour boire un verre d'eau, on le retrouve un bâton à la main qu'il est allé chercher en pyjama au fond du jardin. Le verre d'eau est devenu une bouteille qu'il a remplie et à laquelle il a attaché une ficelle en racontant une histoire incroyable. On retrouve dans sa chambre des morceaux d'ail qu'il fait macérer dans de l'eau avec une odeur épouvantable. Ce qui le sauve de l'échec scolaire, à mes yeux, c'est qu'il n'est pas hermétique à l'enseignement et l'apprentissage dans l'absolu mais véritablement au système scolaire.»

Pour Marc Lefeuvre, président d'Info Actions Surdoués, la première urgence pour de tels parents consiste à s'informer :

«Quand les difficultés scolaires ou comportementales d'un enfant sont expliquées par son haut potentiel, c'est souvent "l'immeuble qui tombe sur la tête". Il faut alors se renseigner et ce sont les associations, actives sur le terrain, qui apportent le plus d'informations aux parents. Sur le plan scolaire, quelques établissements publics, des collèges principalement, ont mis en place un accueil spécifique pour ces enfants (en région lyonnaise et parisienne) mais j'observe que ce sont principalement les écoles privées catholiques sous contrat avec l'Education nationale qui s'ouvrent actuellement en organisant des journées pédagogiques ou en mettant en place des programmes d'accueil spécifiques pour ces enfants qui sont à chaque fois un cas particulier.»

D'autres actions commencent en outre à porter leurs fruits. Notamment au niveau de la formation et de la sensibilisation des enseignants à ce problème, trop longtemps méprisé. A Paris, la Mafpen (Missions académiques à la formation des personnels de l'Education nationale) a ainsi mis en place des modules spécifiques dans le cadre de la formation continue des enseignants, de même que l'IUFM (Institut universitaire de formation des maîtres) de Toulouse et l'Unapec (formation des enseignants des établissements catholiques).

De la détresse à la dépression

Des informations ponctuelles sont régulièrement faites dans des universités et des instituts universitaires sous forme de conférences-débats et des associations comme l'Anpeip (Association nationale pour les enfants intellectuellement précoces), IAS (Infos Action Surdoués) ou l'Afep (Association française pour les enfants précoces) participent à l'information et à la formation des enseignants du public et du privé à l'approche des enfants intellectuellement précoces (EIP). La démarche menée auprès de l'Education nationale, principalement par l'Anpeip et l'Afep ont généré, en 2001, la mise en place d'un groupe de travail sur la scolarisation des élèves intellectuellement précoces au sein du ministère. Le rapport de ce groupe de travail a lui-même été rendu public par le ministre peu de temps avant la dernière élection présidentielle de mars 2002.

Autant d'associations et de travaux auxquels les parents en difficulté ne doivent pas hésiter à s'adresser, ou à se référer, au moindre doute. A Lille, Maria Paoletti, membre de l'association Fractales (France actions talents et surdouements) se souvient en effet de l'arrivée de Benjamin, 8 ans, dans son bureau :

«Sa mère, totalement désemparée, nous a amené, sur les conseils d'une psychologue, son fils qui venait de faire une tentative de suicide. Il ne supportait plus son instituteur, se bagarrait et se faisait battre dans la cour de l'école. Un père ingénieur, une mère chef d'entreprise... un couple et une famille solide. A la maison, Benjamin était un enfant aimant, désireux de toujours rendre service et proche des adultes. Il a été testé et le résultat indiquait un enfant très inégalement développé, surdoué et dysharmonieux. Sur le plan psychomoteur, c'était pratiquement un sous-doué, dysgraphique avec des problèmes de repères spatiaux et temporels et une mauvaise latéralité. Aujourd'hui, nous avons mis en place, avec ses parents, une véritable stratégie réparatrice pour l'aider à trouver un équilibre.»

Et ce point d'équilibre est bien la clé du bonheur pour l'enfant précoce. De même que pour ses parents, et l'ensemble de sa famille.

Sur le site de surdoués : mode d'emploi