Le deuil d’un suicide est-il un deuil comme un autre ?
Christophe Fauré : Non ! Il comporte une dimension traumatique, avec un risque élevé de "syndrome de stress post-traumatique", surtout pour ceux qui découvrent le corps, d’où une durée plus importante du processus de deuil. La personne passe par une phase de recherche du "pourquoi" véritablement obsédante pour les proches, pendant des mois ou des années.
L’impact particulièrement violent de la culpabilité et des "punitions" qui en découlent, la place particulière de la colère (soit tournée vers l’extérieur, à la recherche de boucs émissaires, soit tournée contre soi ou envers la personne suicidée, ce qui est souvent très pénible à éprouver pour les proches car très culpabilisant) complique ce deuil. Il existe un risque accru de passage à l’acte suicidaire chez les personnes en deuil après suicide. La honte et une possible stigmatisation sociale, entraînant souvent une auto exclusion des réseaux de soutien, s’ajoutent à la souffrance de l’absence.
Quelles sont les étapes incontournables que traverse le conjoint survivant ?
C. F. : Il passe par les mêmes quatre phases que dans le deuil classique, mais elles sont souvent plus longues et émaillées d’enjeux spécifiques.
En premier, le choc et la sidération sont démultipliés, puis l’on recherche la personne disparue, en fuyant la souffrance. Vient ensuite la phase de déstructuration, qui précède celle de restructuration.
Comment s’affranchir de la culpabilité ou de la colère ressentie après le suicide de son conjoint ?
C. F. : C’est difficile, voire impossible. C’est le cœur du travail de deuil d’aider à distiller cette culpabilité et cette colère. C’est d’ailleurs le point de souffrance des personnes en deuil après suicide, sauf dans les situations où la cause du suicide est évidente et au-delà de ce que les proches pouvaient faire ; dans le cas d’une maladie, par exemple.
Est-il plus difficile de parler à son entourage du suicide de la personne que l’on aimait ?
C. F. : Ce n’est pas la même chose. Il y a l’impact de la honte et de la peur de la stigmatisation sociale. S’ajoute à cela l’impact de la culpabilité et du doute quant à sa propre responsabilité dans le passage à l’acte. La honte et la culpabilité ayant un impact majeur sur l’image de soi, l’estime de soi. Il y a un enjeu d’identité : quelle est la "qualité" de mon amour s’il n’est pas suffisant pour maintenir mon conjoint à la vie ?
Les amis, la famille sont pourtant la source principale de soutien d’une personne en deuil. Qualité d’écoute et de présence, non jugement, disponibilité sur le long terme, patience - car le processus est très long - sont indispensables. Une aide concrète est parfois nécessaire (matérielle, organisation...).
Pour la personne qui survit au suicide de son conjoint, il est nécessaire de connaître un minimum la dynamique du deuil (les différentes phases) pour éviter des paroles malheureuses (commentaires, jugements…) ou des attitudes inadaptées (mettre la pression pour que la personne aille mieux trop vite, par exemple, sans respect de son rythme naturel).
Y a-t-il des étapes clés nécessaires pour pouvoir accepter la mort et vivre le deuil ?
C. F. : Oui, par exemple, les obsèques. Elles aident la personne en deuil à s’identifier comme étant en deuil, elle se voit accorder le "droit de deuil" par son entourage réuni autour d’elle.
Les obsèques aident également à redonner aux proches des images plus apaisées en contraste avec celles, violentes, du suicide.
Quels conseils peut-on donner aux conjoints de personnes suicidaires et suicidés ?
C. F. : On peut leur conseiller de faire appel au réseau de soutien : cela peut être les "aidants naturels" (amis, proches, collègues), le médecin traitant, les ministres du culte mais aussi les associations de prévention du suicide ou d’accompagnement du deuil après suicide (ligne téléphonique, entretien individuel, groupes de parole), les réseaux sur le web (forums, infos) ou les psychiatres !
Le deuil nous renvoie à une solitude ultime qui est au cœur de toute existence humaine. Le processus de deuil est un incessant aller-retour entre le monde extérieur (et le soutien que le réseau offre) et l’intérieur, lieu de solitude fondamentale où se distille l’essence du deuil et où personne ne peut nous rejoindre. Ce vécu de solitude est donc normal et même nécessaire.
Le suicide fait peur car il renvoie à un tabou de notre société. Le briser peut plus ou moins inconsciemment jeter l’opprobre sur les proches et induire des attitudes d’exclusion parfois subtiles, même si la personne est parfois celle qui s’auto exclue, sans même s’en rendre compte, et ceci, sous le joug de la honte.
Le danger d’un sentiment de "destin qui s’acharne" est de se construire une vision de son avenir dans cette perspective et de voir toutes les difficultés de la vie comme des "preuves" d’un destin funeste.
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