Rechercher dans ce blog

28 février 2008

Le site de CEMEA. De la pédagogie !


Les punitions et sanctions à l'école.

Texte de Maurice Mazalto, proviseur du lycée Jacques Prévert à Pont Audemer (27) ; membre actif du Groupe de pilotage Politiques Éducatives

1. Rénovation d’une législation obsolète

La reconnaissance des droits de l’enfant, notamment la convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989 adoptée sous l’égide de l’ONU (1) et ratifiée par la France, conforte l’école de la République dans une de ses missions fondamentales : « Former des citoyens en appliquant deux aspects essentiels, permettre le droit à la parole de l’enfant et de l’adolescent, faire respecter les lois générales et les règles de fonctionnement qui les organisent. ».

Or, la circulaire parue au BOEN spécial n°8 du 13 juillet 2000 (2), précise l’organisation des procédures disciplinaires dans les établissements scolaires du second cycle, tant la situation actuelle « varie considérablement d’un établissement à l’autre », afin d’éviter « les exclusions de plus en plus nombreuses » et « un recours systématique aux procédures de signalement à la justice » qui risquent de devenir inefficaces. Dans ce contexte, la circulaire précise que l’école ne peut être une zone de non droit livrée à l’arbitraire, qu’au contraire « les principes généraux de droit qui s’appliquent à toute procédure » doivent être mis en application.
Sont précisés :
• Le principe de la légalité des sanctions et des procédures,
• Le principe du contradictoire,
• Le principe de la proportionnalité de la sanction,
• Le principe de l’individualisation de la sanction.

Il aurait été possible d’insister sur d’autres principes de droit aussi essentiels ; par exemple, le fait que les règles doivent s’appliquer à tous, adultes comme enfants ou jeunes, ou que nul ne peut se faire justice soi-même (3) (4).

On constate la mise à jour d’une législation qui souhaite mettre fin à des pratiques d’une autre époque et protège l’enfant et le jeune adolescent. Des situations comme cet exemple devraient enfin disparaître : « Je me souviens d’une situation que j’ai vécu en CM2. Un jour l’instituteur nous a posé la question suivante : ? Qu’est-ce qu’un attribut du sujet ? Il interroge un certain nombre d’élèves qui ne savent pas répondre, après quoi, un élève apporta la bonne réponse. Les quatre élèves qui n’avaient pas su répondre furent obligés de copier 300 fois la définition de l’attribut du sujet. » (5).

2. Éducation nouvelle et sanction

Ceci étant, sanctionner est un acte, ni facile, ni simple, acte qui interpelle la personne qui le met en œuvre, surtout lorsqu’elle se réfère aux pratiques d’éducation nouvelle.

Aussi faut-il s’interroger sur la sanction, son principe, ses finalités, ses modalités d’application ? Comme l’indique Loïck M. Villerbu (6) on peut estimer que la représentation de la sanction est issue du système pénal et qu’elle s’inscrit dans un contexte insécuritaire. Elle vise surtout à rassurer les acteurs du système éducatif inquiets de l’existence d’actes violents dans leur établissement scolaire : enseignants, parents d’élèves, élèves, responsables d’établissements. Il en résulte une instrumentalisation de la sanction, qui est mise au service d’intérêts particuliers cherchant à modéliser à partir du système pénal. Or la sanction doit être adaptée à l’auteur de la transgression et son efficacité dépendra de multiples paramètres.
L’éducation nouvelle reconnaît à chacun la liberté d’expression et combat toute forme d’obscurantisme, de discrimination, d’injustice. L’éducation nouvelle considère l’individu comme un être à part entière, acteur de son développement et de sa propre vie. Les relations dans le groupe sont basées dans l’acceptation des différences, dans le respect du pluralisme.

On peut aussi affirmer que la sanction à toute sa place dans le processus éducatif, que le rappel de la loi et le respect de la règle font partie de la construction de la personne humaine. Bertrand Chavaroche souligne : « Parler de lois, règles et consignes dans une perspective d’éducation nouvelle, dès lors que l’on reconnaît la parité de droits et de devoirs, d’obligations entre les personnes, c’est les penser en termes politiques comme repères au service de l’épanouissement, de l’autonomie et de la responsabilité des personnes... » (7).
C’est dire qu’aucune transgression ne doit être passée sous silence, et que tout acte répréhensible doit avoir une réponse, même si ce principe va à contre-courant de certaines tendances, en particulier la tentation de déléguer à d’autres l’acte d’autorité. « Nous enseignerions, les élèves nous écouteraient et il y aurait au fond de la classe quelqu’un pour les punir à notre place. » Ces propos tenus par des enseignants qui rêvent au métier idéal, sont rapportés par Éric Debarbieux qui ajoute : « Cette difficulté à faire la loi soi-même et cette délégation à un ‘‘professionnel’’, spécialisé dans le maintien de l’ordre est révélatrice de l’idéologie dominante en éducation ... » (8).
À plus forte raison, le silence n’a jamais été une réponse ; en effet, « il importe de toujours rétablir les limites, de reformuler à chaque fois les interdits structurants. Même si on renonce à toute rétorsion, à toute punition, ne faisons pas silence sur ce qui s’est passé. À chaque fois, on a à signifier que l’acte a été entendu, son responsable reconnu... » (9).

3. Punition et sanction

Certains préconisent une « punition », d’autres parlent de « sanction ».

Une explicitation des termes paraît nécessaire pour éviter la confusion des idées :
• La punition est « ce que l’on fait subir à l’auteur d’une simple faute (non d’un crime ou d’un délit) », indique le dictionnaire Le Robert, avec comme exemples de punitions scolaires : coin, colle, ligne, retenue.
• La sanction est « une peine ou une récompense prévue pour assurer l’exécution d’une loi », d’après le dictionnaire Le Robert. Mais le terme est de plus en plus employé dans le sens négatif et le dictionnaire précise plus loin : « Mesure répressive attachée à un ordre non exécuté, une défense transgressée. ».

La circulaire citée reprend la même terminologie en précisant : « par commodité de langage, les punitions scolaires sont distinguées des sanctions disciplinaires ».
• « Les punitions scolaires concernent essentiellement certains manquements mineurs aux obligations des élèves et les perturbations dans la vie de la classe ou de l’établissement. »
• « Les sanctions disciplinaires concernent les atteintes aux personnes et aux biens et les manquements graves aux obligations des élèves. »

Nous adopterons ces définitions en privilégiant le terme « sanction » en tant que transgression de la règle en négatif ou en positif.

4. Un règlement intérieur adapté

L’intervention du droit à l’école s’appuie sur plusieurs fondements :
• Politique, avec l’affirmation qu’un régime démocratique ne peut vivre sans citoyens conscients de leurs droits et obligations, et que la sanction à pour finalité de restaurer la loi et de la réhabiliter (10),
• Moral, avec le refus de la violence envers les autres pour régler les différents (faire mal) ou envers soi-même (se faire mal),
• Éthique, avec la volonté de construire un sujet responsable de ses actes en pariant sur sa liberté : « On le considère comme un sujet responsable pour qu’il le devienne. », affirme Eirick Prairat (11).

Dans l’établissement scolaire, le règlement intérieur est « l’expression notable, mais non la seule, du pouvoir de réglementation ». D’ailleurs la juridiction administrative peut se prononcer sur la régularité de certaines dispositions contenues dans des règlements intérieurs, à l’occasion d’un recours, et peut en reconnaître le bien-fondé ou conforter une décision.

Il importe donc que ce document fixe les règles d’organisation avec précision, détermine les conditions d’application des droits et obligations des membres de la communauté scolaire, en précisant les sanctions applicables aux élèves en cas de transgression.
Le législateur aurait pu préciser que l’apprentissage de la loi se fait progressivement en fonction de l’âge et que le règlement intérieur d’un collège ne doit pas être identique à celui d’un lycée ; ceci est relevé par Françoise Leluyer : « [...] le règlement intérieur, dans les collèges, n’est pas accessible aux élèves, le plus souvent en termes de compréhension immédiate, quotidienne. Au lycée compte tenu de l’âge des élèves, je pense que c’est complètement différent, mais au collège, je pense qu’il y a des élèves pour lesquels ce n’est pas accessible, en termes cognitifs : il faut donc, non pas amenuiser ce règlement intérieur, mais le décliner en quelques principes qui vont régir la vie dans les classes ou dans l’établissement. » (12).
On pourrait s’appuyer sur les travaux de Jean Piaget qui constate « une sorte de loi d’évolution dans le développement moral » de l’enfant avec une période charnière vers 7-8 ans. Dans une perspective psychologique et génétique, il précise que pour le jeune enfant, la faute est toujours acte de désobéissance ; « est juste ce qui est conforme aux consignes imposées par l’autorité adulte » (13). À partir de la période charnière, s’ouvre progressivement une attitude d’autonomie et de collaboration avec l’adulte. Une transgression expliquée peut être admise et la sanction acceptée.

5. Des textes attendus

L’introduction du droit à l’école renforce l’importance des textes qui organisent la vie en collectivité, qui définissent les droits et obligations, et des décisions qui en découlent.

Plusieurs raisons justifient le grand intérêt qu’ils suscitent :
• Des raisons institutionnelles, pour apporter une cohérence de fonctionnement, au niveau de la grande diversité des sanctions appliquées, résultant de pratiques sans logique perceptible.
• Des raisons sociétales, car l’école n’est plus à l’écart de la société procédurale et pour conserver sa légitimité, elle doit en adopter les principes ; en effet des familles n’hésitent plus à s’adresser aux tribunaux lorsque des décisions leur paraissent injustes ou injustifiées.
• Des raisons éducatives, conséquences des demandes très diverses des différents membres de la communauté éducative :
• Les parents, qui revendiquent une école sans violence, à l’écart des problèmes de société, générateurs de violence,
• Les élèves, qui réclament avec insistance des relations basées sur le respect, la prise en compte de leur expression, l’égalité de traitement dans la transgression,
• Les enseignants, qui souvent enseignent le droit mais peu habitués à le faire vivre dans l’école, système inégalitaire ; en effet, l’éducation s’inscrit dans une relation hiérarchique entre enseignants et enseignés.

6. Florilège de sanctions

Eirick Prairat (14) a répertorié quatre grandes catégories de sanctions utilisées au fil des ans avec bien entendu toutes les combinaisons possibles :
• La punition-expiation qui vise à un changement d’esprit en culpabilisant l’auteur de l’infraction dans un registre pouvant aller jusqu’au châtiment corporel,
• La punition-signe qui fait honte à son destinataire en instituant physiquement la sanction (le bonnet d’âne) et sert d’exemple aux autres qui sont invités à porter un regard réprobateur,
• La punition-exercice qui corrige une anomalie, un manque constaté souvent aux marges du punissable ; il faut renforcer une vertu hésitante, une volonté défaillante dans le fonctionnement de tous les jours. Il s’agit de pénaliser « une micropénalité du temps (retards, absences, interruption de tâches), de l’activité (inattention, négligence, manque de zèle), de la manière d’être (impolitesse, désobéissance), du corps (attitudes incorrectes, gestes non conformes, malpropreté), de la sexualité (indécence, immodestie)... » (15). La règle est réaffirmée par des écrits répétitifs, « les lignes », ou par des « devoirs supplémentaires » codés dans le temps et l’espace par « deux heures de colle en permanence ».
• La punition-banissement exclut d’un lieu et/ou assigne à résidence ; par rupture du contrat, elle supprime le lien social entre l’auteur de l’acte et le reste du groupe. La mise à l’écart traduisant l’impossibilité de convaincre l’esprit a recours à l’éviction corporelle.

7. Des pistes pour placer la sanction dans une perspective d’éducation nouvelle

Il en résulte de grandes différences dans les approches des uns et des autres, mais un certain nombre de points fondamentaux peuvent être dégagés pour concilier la sanction avec les principes d’éducation nouvelle.

• La sanction n’est jamais collective car une telle décision génère des sentiments d’injustice qui remettent en cause la sanction et celui qui la prononce. Dans un climat d’incompréhension, la sanction est inefficace, rejetée et crée des situations de blocage, des conflits d’autorité, voire des épreuves de force. « À la fin de l’année scolaire, un élève amène un rat en classe et profite d’une absence du professeur pour le déposer sur le bureau ; l’animal effrayé se soulage sur les affaires du professeur. En constatant les dégâts, tous les élèves incités par quelques uns, sortent du cours et se dispersent dans le lycée. Indigné, le professeur alerte le chef d’établissement, puis progressivement ses collègues, qui viennent en délégation réclamer des sanctions exemplaires. » (16)
Cette situation nécessite une « instruction » au sens judiciaire du terme, très minutieuse, en recoupant les témoignages. Il est en effet important de déterminer les différentes responsabilités des élèves, afin d’éviter une sanction collective qui n’aurait aucun sens, sinon de faire naître un sentiment d’injustice.

• La sanction s’adresse toujours à une personne considérée comme sujet. Il importe de différencier la personne et l’acte commis, car si l’acte est répréhensible, le sujet n’est pas en cause en tant que personne : « Un acte stupide ne signifie pas que je suis stupide. ».
De façon tout à fait logique, on peut faire un parallèle avec les processus d’acquisition des savoirs : de mauvais résultats ne signifient pas un jugement de valeur négatif sur la personne. Au contraire, il s’agit souvent de restaurer chez l’enfant ou l’adolescent une image de soi dégradée, voire de la reconstruire en partie ou totalement par le dialogue, de façon à lui permettre de retrouver sa place dans le groupe. La relégation et le décrochage doivent faire place à une réintégration progressive.

• La sanction fonctionne dans le symbolique et non dans le spectaculaire qui autorise toutes les dérives démagogiques. Un responsable d’établissement scolaire avait imaginé d’inscrire sur un tableau placé dans la cour et visible par tous, la liste permanente des élèves sanctionnés, liste comprenant les actes commis et les sanctions infligées (17). Il s’appuyait sur le principe de l’exemplarité de la sanction, donc une certaine instrumentalisation. Cette façon de procéder est l’antithèse d’une conception éducative de la sanction ; en effet, aucune sanction n’est exemplaire pour les autres, même si les élèves s’informent très rapidement entre eux des risques encourus pour tel ou tel acte.
L’explication de la transgression par référence aux principes éthiques et moraux est indispensable pour aider l’enfant, l’adolescent à devenir un sujet autonome et responsable. Sinon on transforme l’éducation en dressage en agitant en permanence « la peur du gendarme », qui devient de plus en plus aléatoire.

• La sanction fonctionne dans un système qui fait place au contradictoire ; chacun doit pouvoir exprimer son point de vue, sa vision de l’acte, donc posséder un espace de parole, même si certaines situations sont peu propices au dialogue. S’il est souhaitable de prendre des mesures conservatoires dans l’urgence, il est fortement déconseillé de sanctionner sur le moment « à chaud », avant d’avoir toutes les informations. Les paroles des protagonistes, de la personne qui gère un conflit, qui explicite la transgression sont essentielles pour s’inscrire dans une dynamique éducative.
Grâce à la parole, l’enfant, l’adolescent, apprennent à gérer des situations conflictuelles de façon non-violente.

• La sanction n’est ni une vengeance personnelle, ni un règlement de compte avec un groupe. La sanction est une contrainte qui va créer de la frustration, une interdiction, une mise à l’écart temporaire.
Elle a toute sa place dans l’espace éducatif en indiquant l’écart à la règle ou à la loi et en positionnant l’acte dans une échelle de valeurs morales et éthiques. Cette contrainte ancre dans le réel certains actes qui en sont totalement déconnectés. Lorsqu’elle est accompagnée d’une mesure de réparation, elle responsabilise davantage la personne par rapport à ses actes.

8. Quelle autorité ?

Sanctionner est faire preuve d’autorité. D’après Hannah Arendt : « S’il faut vraiment définir l’autorité, alors ce doit être en l’opposant à la fois à la contrainte par force et à la persuasion par arguments. » (18).
• L’autorité maintien une relation distanciée entre l’adulte et l’enfant ou l’adolescent.

La circulaire citée précise quels sont les adultes qui la détienne :
• Les punitions scolaires peuvent être prononcées « par les personnels de direction, d’éducation, de surveillance et par les enseignants ». Elles pourront également être prononcées, sur proposition d’un autre membre de la communauté éducative, par les personnels de direction et d’éducation.
• Les sanctions disciplinaires dépendent du chef d’établissement ou du conseil de discipline.

L’acte éducatif fonctionne dans le registre de l’adhésion et l’autorité créée une tension qui fait barrage. Il faut donc du courage pour faire « acte d’autorité ». Les romains avaient relevé deux formes d’autorité : « la potestas » ou pouvoir légalement reconnu à la fonction exercée par une personne, et « l’auctoritas », basée sur l’ascendant, le prestige personnel. Il semblerait qu’avoir l’autorité et de l’autorité se complètent heureusement pour aider à la gestion de conflits.

Le droit existe à l’école, les textes cités l’affirment. À chacun, à son niveau de responsabilité de s’en emparer, les faire vivre, les utiliser en ayant à l’esprit que l’autorité dans une perspective d’éducation nouvelle, travaille à son propre effacement, afin de permettre à l’enfant et à l’adolescent de devenir un sujet, autonome, libre et responsable de ses choix.


Sur le site.