Rechercher dans ce blog

11 mai 2008

La Maltraitance en institution : Sénat année 2001-2002 et 2002-2003

La maltraitance fait l'objet de définitions à géométrie variable, élaborées à partir de l'observation de réalités diverses, et dont les différences tiennent dans leur degré plus ou moins grand de précision.

Mme Sylviane Léger, directrice générale de l'action sociale au ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité, a estimé que ces définitions permettent de donner une grille de lecture commune, estimant qu'il n'y avait pas « de débat de fond important autour de cela ».

La commission d'enquête, bien qu'en accord sur le fond avec les propos de la directrice générale de l'action sociale, considère néanmoins que la multiplication des définitions de la maltraitance contribue à brouiller l'analyse du phénomène et traduit un certain embarras face à la réalité de celui-ci.

1. Les définitions internationales

a) La définition de la violence par l'ONU

L'Organisation des Nations Unies (ONU) a défini la violence de la manière suivante : « la violence fait référence à tout acte violent de nature à entraîner, ou risquer d'entraîner, un préjudice physique, sexuel ou psychologique ; il peut s'agir de menaces, de négligence, d'exploitation, de contrainte, de privation arbitraire de liberté, tant au sein de la vie publique que privée ».

b) La définition du Conseil de l'Europe

Le Conseil de l'Europe a créé en son sein un groupe de travail sur la violence, la maltraitance et les abus à l'égard des personnes handicapées. Ce groupe de travail a établi, sous la direction du professeur Hilary Brown, le 30 janvier 2002, un rapport portant sur La protection des adultes et enfants handicapés contre les abus.

Ce rapport propose, notamment, une définition de la violence, des abus, de la maltraitance et des négligences.

Il donne une définition pratique des abus qui « englobe les abus physiques et sexuels, les préjudices psychologiques, les abus financiers, et les négligences et les abandons d'ordre matériel ou affectif ».

Le rapport définit l'abus comme « tout acte, ou omission, qui a pour effet de porter gravement atteinte, que ce soit de manière volontaire ou involontaire, aux droits fondamentaux, aux libertés civiles, à l'intégrité corporelle, à la dignité ou au bien-être général d'une personne vulnérable, y compris les relations sexuelles ou les opérations financières auxquelles elle ne consent ou ne peut consentir valablement, ou qui visent délibérément à l'exploiter ».

Il propose une classification qui distingue six types d'exercice de la maltraitance :

- la violence physique, qui comprend les châtiments corporels, l'incarcération, y compris l'enfermement chez soi sans possibilité de sortir, la surmédication ou l'usage de médicaments à mauvais escient et l'expérimentation médicale sans consentement ;

- les abus et l'exploitation sexuels, y compris le viol, les agressions sexuelles, les outrages aux moeurs, les attentats à la pudeur, l'embrigadement dans la pornographie et la prostitution ;

- les menaces et les préjudices psychologiques, généralement les insultes, l'intimidation, le harcèlement, les humiliations, les menaces de sanctions ou d'abandon, le chantage affectif ou le recours à l'arbitraire, le déni du statut d'adulte et l'infantilisation des personnes handicapées ;

- les interventions portant atteinte à l'intégrité de la personne, y compris certains programmes à caractère éducatif, thérapeutique ou comportemental ;

- les abus financiers, les fraudes et les vols d'effets personnels, d'argent ou de biens divers ;

- les négligences, les abandons et les privations, d'ordre matériel ou affectif, et notamment le manque répété de soins de santé, les prises de risques inconsidérées, la privation de nourriture, de boissons ou d'autres produits d'usage journalier, y compris dans le cadre de certains programmes éducatifs ou de thérapie comportementale.

Le rapport a néanmoins rappelé les remarques qu'ont faites les délégations française et norvégienne concernant la définition de la maltraitance : « la difficulté de cet exercice consiste à situer correctement le problème entre deux pôles dont le premier serait une définition réductrice de la violence [...] qui masquerait la réalité du phénomène, et le deuxième une extension exagérée du concept qui en atténuerait la spécificité en y incluant des problèmes beaucoup plus vastes... ».

De ce point de vue, la définition ministérielle de la maltraitance n'échappe pas aux limites d'une « extension exagérée du concept ».

2. La définition du ministère : la difficile recherche de l'exhaustivité

Lors de son audition, Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées, a donné une définition extrêmement large de la maltraitance et a souligné son omniprésence : « Pour ma part, je considère comme maltraitance toute négligence, petite ou grande, toute absence de considération, qui peut aller jusqu'à des violences graves. Cette maltraitance est partout ».

La commission d'enquête note que la définition donnée par la secrétaire d'Etat de la maltraitance envers les personnes handicapées, et illustrée par de nombreux exemples, montre toute la difficulté à définir avec précision un concept multiforme. La recherche de l'exhaustivité est dès lors un exercice non seulement difficile mais quasiment vain.

Dans une optique plus pratique, le ministère se reconnaît très largement dans les définitions de la maltraitance établies par le Conseil de l'Europe.

Ainsi, dans son travail, la DGAS est amenée à procéder à une première distinction d'ordre très général :

- la négligence, qui se définit par le défaut de subvenir aux besoins psychiques, psychologiques, affectifs ou spirituels d'une personne : elle peut être passive, comme dans le cas d'une non-intervention par manque de connaissance, ou active, ce qui survient plus rarement, comme dans le cas d'un refus d'assistance ;

- l'abus ou la maltraitance active, qui se caractérise par l'administration volontaire et de façon active de contraintes causant du mal sur le plan psychique, psychologique ou sexuel, ou du tort sur le plan financier.



« La maltraitance est partout »

Mme Marie-Thérèse Boisseau a développé devant la commission d'enquête sa définition de la maltraitance envers les personnes handicapées :

« Il y a maltraitance quand il n'y a pas d'accueil, ou un mauvais accueil, de l'enfance handicapée à l'école. Il y a maltraitance dans un CAT ou un atelier protégé qui fait de la rétention de ses meilleurs éléments en ne les orientant pas vers le milieu ordinaire de travail. Il y a maltraitance quand une société d'HLM refuse un logement à un couple de sourds solvables, simplement parce qu'ils sont sourds.

« Mais je pense qu'il existe une violence institutionnelle, car aucune institution n'est spontanément « bien-traitante ». Il y a maltraitance dans un établissement hospitalier par méconnaissance par le personnel des problèmes très divers, et très complexes, j'en conviens, du handicap. C'est particulièrement évident quand le malade est un handicapé mental. Il faut former le personnel hospitalier, lui apprendre à contenir des personnes violentes sans qu'il ne devienne lui-même violent. Les rapports, plus précisément avec les hôpitaux psychiatriques, ne sont pas toujours faciles. D'une part, ils ne veulent pas représenter la sanction, et, d'autre part, ils font le plus souvent appel à la camisole chimique et se montrent plus tolérants vis-à-vis de la violence entre patients qui n'existe pas, ou très peu, dans les petites institutions. Il y a maltraitance en milieu hospitalier par manque de soins. J'ai personnellement eu connaissance d'un certain nombre de faits. Il y a maltraitance lorsque l'on pose la question, devant un autiste présentant un cancer, « Est-ce bien utile de faire des explorations complexes et coûteuses ? ». Il y a maltraitance en milieu sanitaire quand on ne prend pas en compte la douleur - soins dentaires sans anesthésie, nutrition parentérale à vif.

« Dans les établissements médico-sociaux, il y a bien sûr d'abord les violences sexuelles, qui représentent en moyenne 60 % des maltraitances, voire 70 % chez les mineurs. Mais il existe aussi de très nombreuses formes de maltraitance insidieuse, plus ou moins passives. La première étant peut-être d'obliger quelqu'un à vivre d'une manière qu'il n'a pas choisie, de lui imposer le fauteuil roulant, des repas qui ne correspondent pas à son histoire ou à sa culture, le mixage de toute nourriture, ou le gavage, pour aller plus vite. Il y a maltraitance quand on répond avec retard au désir de la personne d'aller aux toilettes ou quand on lui conseille de faire dans sa couche, augmentant ainsi les liens de dépendance. Tout cela, souvent par manque de temps ou de personnel, mais pas seulement.

« Il faut aussi être extrêmement vigilant sur la qualité des centres de vacances pour personnes handicapées, dont l'encadrement est très insuffisant et pas toujours compétent. Les moyens d'intervention et de contrôle existants sont moindres pour les adultes que pour les enfants, mais des dysfonctionnements trop flagrants doivent conduire à leur fermeture. Au-delà de la maltraitance des personnes handicapées par le personnel - je n'en ai cité que quelques exemples, souvent très insidieux -, il y a les maltraitances vis-à-vis de soi - les automutilations -, qui sont finalement moins importantes en institution qu'à domicile - je parle bien entendu en moyenne - dans la mesure où s'établit un certain climat de confiance à l'intérieur de l'institution. Et puis il y a les violences entre résidents, qui sont parfois terribles, et qui demandent un long travail de psychothérapie et un personnel d'encadrement solide. N'oublions pas non plus les violences des résidents vis-à-vis du personnel, car il faut aussi parfois protéger le personnel contre les usagers. Un fauteuil roulant électrique pèse plus de cent kilos et peut faire très mal une fois lancé à vive allure. Et il n'existe aucun exutoire : le problème doit être résolu car il faut garder le résident ».

L'« accueil par défaut »

Des actes individuels de maltraitance peuvent survenir en cas d'inadéquation des institutions aux publics accueillis.

La maltraitance résulte alors, selon l'expression de M. Jean-Philippe Boyé, coordinateur national pour le secteur socio-éducatif de Force ouvrière (FO), de « l'accueil par défaut », dans des institutions dont ils ne relevaient pas directement, c'est-à-dire des institutions qui ne sont pas équipées pour les accueillir dans les meilleures conditions ou, en tout cas, ne prenant pas en compte leurs problématiques sociales et pathologiques.

Certains établissements, en particulier dans le secteur de l'aide sociale à l'enfance, se voient ainsi obligés d'accueillir des enfants qui auraient besoin de bénéficier de mesures de protection et qui viennent dans les établissements d'accueil d'urgence tels que les centres départementaux de l'enfance et de la famille, les foyers de l'enfance ou les centres maternels.

Ces enfants, qui relèveraient de structures spécialisées comme les hôpitaux de jour et les instituts de rééducation, sont accueillis au sein des structures sociales où ils courent un danger et peuvent en faire courir aux autres publics. Ils peuvent être victimes ou commettre des passages à l'acte, tout simplement parce que l'étayage thérapeutique est inexistant et parce que, dans le cadre des missions de service public de l'aide sociale à l'enfance, il n'appartient pas à ces structures sociales de mettre en oeuvre des dispositifs thérapeutiques ou psychosociaux qui permettraient de remédier aux difficultés de ces enfants et adolescents en danger.

Cet exemple illustre les difficultés à tracer une ligne de partage sûre entre maltraitance individuelle et maltraitance institutionnelle, les deux aspects du phénomène se rejoignant quelquefois.


Les principaux facteurs de maltraitance au sein des établissements d'accueil

a) Le rôle de l'organisation et du management internes

Les situations de maltraitance sont souvent liées au fonctionnement des établissements eux-mêmes.

Une grande partie des problèmes de maltraitance survient dans des établissements où un certain nombre de modes d'organisation et de fonctionnement ne sont pas structurés et où l'attention à la façon de travailler du personnel est insuffisante. Sont en cause la qualité du projet d'établissement, les conditions du management interne, la qualité et la qualification des personnels.

Il existe encore aujourd'hui des structures où le projet d'établissement8(*) est inexistant, n'est pas formalisé ou n'est pas connu des personnels parce qu'il n'a pas été construit collectivement, malgré les termes de la loi ou parce qu'il a été élaboré avant sa publication. Dans ces structures, les comportements ne sont pas maîtrisés, ce qui peut favoriser l'émergence de cas de maltraitance.

Le rôle des dirigeants et des personnels d'établissements est en tout cas essentiel, à tel point que les situations de carence durable ou passagère du management interne sont des conditions favorables à l'émergence de phénomènes de maltraitance.

M. Claude Meunier, directeur général adjoint de l'APF, a ainsi noté qu'« il convient enfin d'évoquer la forme du management. Ainsi, un mode de management « à l'ancienne », « paternaliste » ou « dictatorial » - je caricature un peu - débouchera sur un établissement fermé sur lui-même ».

M. Pascal Vivet a illustré la façon dont un directeur d'établissement pouvait exercer une sorte de chantage envers les familles qui « feraient des problèmes », ce chantage n'étant du reste pas nécessairement intentionnel : « qu'on le veuille ou non, le directeur d'établissement fait preuve d'hypocrisie. Je l'affirme d'autant plus facilement que j'ai moi-même été directeur d'un institut médico-éducatif. J'avais beau dire aux parents qu'ils avaient le choix entre signer et ne pas signer la feuille d'inscription de leur enfant au sein de mon établissement, quelle possibilité leur laissais-je vraiment ? S'ils ne signaient pas, ils se retrouvaient face à un immense vide. Dans ces conditions, comment voulez-vous que, pour un motif ou un autre, ils refusent d'inscrire leur enfant au sein de tel ou tel établissement ? ».

De même, lorsque la possession par la famille d'informations relatives au fonctionnement régulier d'un établissement est à l'origine de tracasseries, voire de pressions sur la famille, c'est que le responsable de l'établissement cherche à cacher des dysfonctionnements internes, qui peuvent, le cas échéant, engendrer des actes de maltraitance.

Le témoignage de M. Jean-Pierre Picaud, président de la Confédération des personnes handicapées libres, est extrêmement instructif : « lorsque vous indiquez à un directeur que vous détenez la dernière circulaire du ministère, vous êtes soudain pris pour une bête noire. Il ne faut absolument pas dire que cette circulaire est entre vos mains. (...) La directrice de cet établissement m'a demandé comment j'avais eu connaissance de ces documents. Je lui ai répondu que j'avais consulté le Journal Officiel et je lui ai demandé si le fait que j'aie les annexes XXIV9(*) en ma possession la dérangeait. Cela était effectivement le cas. Je me suis installé à la porte de l'institution et ai remis une photocopie des annexes XXIV aux parents qui rendaient visite à leur enfant. J'ai, bien évidemment, reçu un appel anonyme dès le lendemain. Son auteur ne faisait nul doute. Il ne faut pas que les parents sachent ce qui se passe dans une institution ».

Les syndicats eux-mêmes seraient, selon M. Pascal Vivet, parfois à l'origine de la maltraitance institutionnelle, car la dénonciation de cas de violences les placerait face à un arbitrage douloureux entre manifestation de la vérité et protection de l'établissement et donc de l'emploi : « j'ai néanmoins en tête, dans cette affaire précise, la réflexion de syndicats m'affirmant que les affaires de mauvais traitements sur enfants étaient susceptibles de leur faire perdre soixante emplois sur l'ensemble du département. Ils m'ont donc demandé de ne pas les porter en justice ».

M. Jean-Pierre Picaud a relaté son expérience personnelle, rappelant que la directrice de l'établissement dans lequel se trouvait sa fille lui avait « un jour indiqué que [s'il n'était pas] satisfait, [il n'avait] qu'à voir ailleurs ». Il a ajouté que « les directeurs d'établissements raisonnent immédiatement en termes financiers. L'argent est leur préoccupation majeure ».

b) Le renversement des priorités : privilégier l'institution plutôt que les résidents

La commission d'enquête a pu observer, dans certains cas, un indéniable problème de hiérarchie des priorités de la part des responsables d'établissements : lorsque les intérêts de l'institution passent avant ceux des personnes handicapées, les risques de maltraitance se multiplient.