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03 septembre 2008

D'autres articles sur le deuil.

Que l'on veuille bien me pardonner cette mélencholie, mais j'ai absolument besoin de dire, lire et communiquer sur le deuil et ce sentiment qu'il nous laisse vidés de toute substance intime.
Comme si nous n'étions plus que des représentation de nous-même, en figuration.
Car le ressort vital familial est cassé. Rien ne peut plus être comme avant.


Voilà, je fais mon travail de deuil sur la toile...


Pour télécharger la présentation au format PDF : cliquez sur l'image.
Madame Annick ERNOULT
Bordeaux, le 08 octobre 2007
Conférence "Le Deuil : un séisme familial"

Source
Merci à Patrick Lepault et à toute l’équipe de bénévoles de Palliaplus de me permettre d’être parmi vous ce soir et de vous avoir rencontrés cet après-midi. Merci aussi à vous tous qui êtes venus ce soir en quête d’une parole apaisante, d’un sens à donner à ce que vous vivez, ou des repères pour accompagner les personnes en deuil.
J’ai un défi à relever : parler d’un séisme en 30 mn, ! C’est avec une grande humilité  que je vais tenter l’aventure avec vous !
La mort d’un proche, attendue et plus encore violente, précipite chacun des membres de sa famille dans une contrée inconnue. Il ou elle va éprouver des sentiments jamais ressentis, perdre ses repères, avoir du mal à comprendre ce qui se passe en lui et finir, parfois, par y perdre son identité. On peut alors avoir vraiment l’impression que le deuil est une tornade, un séisme, qui ébranle et déstabilise profondément les fondations, les bases d’une personne, et par là même, de sa famille. Le pilier qui manque met en danger toute la construction et oblige chaque membre de la famille  à accueillir sur ce qu’il ressent, se repositionner, réinventer. De plus, de nos jours,  il touche souvent quatre générations qui réagissent et interagissent, chacune avec leur âge, leur éducation, leur système de valeurs, leur capacité ou leur incapacité à s’exprimer et leurs modes d’expression. (plus difficiles pour les plus âgés par exemple).
Que se passe-t-il dans la famille ?
Rapidement, nous pouvons redire que chaque processus de deuil engage celui ou celle qui le vit dans un cycle qui lui fait traverser :
-         un état de choc, dans lequel la personne fonctionne comme un automate ;
-         un long temps de désorganisation intense,  dans lequel la personne a l’impression d’avoir perdu le mode d’emploi de la vie ;
-         un vécu dépressif plus ou moins long, au cours duquel la vie paraît sans intérêt aucun,
-          et, après un temps qui se compte  en années, et non en mois, un temps de réorganisation qui pourra ouvrir la possibilité d’un réinvestissement. Une sorte de réapprentissage du mode d’emploi.
Ce processus de deuil, magnifiquement décrit par Janine PILLOT comme le fait «  d’accepter d’aller au fond de sa peine, au fond du sens de la vie et la mort, pour transformer une absence effective en présence intérieure » est long, douloureux, bouleversant, décapant et s’exprime de façon vraiment unique pour chacun.
Je vous propose d’identifier quelques situations de souffrance familiale et de donner un repère qui puisse être une aide.
1)  Chaque membre de la famille se retrouve dans la position très inconfortable de vivre son deuil tout en accompagnant celui de ses proches. Il va alors découvrir, alors même qu’il rencontre des difficultés à identifier et nommer sa propre souffrance, combien celle-ci s’exprime différemment, évolue différemment pour les autres, et combien cela rend la communication difficile.
Les différences d’expression sont parfois tellement grandes qu’une incompréhension risque de se développer menant à un isolement de plus en plus grand, chacun s’enfermant dans sa propre souffrance et développant le sentiment d’être incompris. Cela peut aussi mener à des conflits, dont certains peuvent engendrer des cassures définitives.
-         Après la mort de leurs parents, les membres d’une fratrie peuvent être surpris par les réactions des uns et des autres. Les disputes autour de l’héritage de leurs parents peuvent parfois engendrer des brouilles bien difficiles à  faire cesser, voire définitives.
-         Après la mort de leur enfant, un père et une mère peuvent se perdre et ne pas arriver à retrouver leur complicité de couple et leur capacité au bonheur. C’est tellement difficile de souffrir ensemble, tellement décourageant de voir que quand l’un des deux va mieux, l’autre plonge et que jamais il ne semble possible de vibrer en harmonie ou d’être sur la même longueur d’ondes. Cela peut parfois aller jusqu’à la séparation lorsque les deux membres du couple finissent par devenir  incapables de communiquer l’un avec l’autre.
-         Une personne qui perd son conjoint peut, pour ne pas exprimer sa douleur devant ses enfants, couper petit à petit tout partage. Elle sera souvent, par ailleurs, déstabilisée par leurs réactions imprévisibles et incompréhensibles.
Ø      Un repère : Ce qui semble capital dans toutes ces situations familiales, c’est de ne pas laisser s’installer l’isolement, l’incompréhension et de refaire ensemble l’effort de mettre les situations qui ont posé problème sur la table, d’en parler, de parler et reparler ensemble de la souffrance que chacun éprouve, en acceptant profondément qu’elle soit différente de celle que j’éprouve. De parler et de reparler ensemble de la personne décédée, sans craindre que cela soit trop. Au début du seuil, c’est vraiment une façon d’avancer qui répond au besoin de beaucoup de personnes. Par delà la distinction entre femmes et hommes. En général les hommes aiment moins parler mais j’ai rencontré des pères qui avaient plus besoin que leur femme de parler de leur enfant décédé ; d’autres qui venaient en groupe d’entraide « pour leur femmes » mais ne désiraient pas participer, et qui finissaient par s’exprimer plus que cette dernière !  Des veufs à qui on ne pouvait pas proposer meilleure aide que de parler de leur épouse.
2)      Les sentiments éprouvés sont parfois tellement violents et nouveaux qu’ils ne peuvent pas être exprimés aux membres de la famille et que, lorsqu’ils le sont, ils ne sont pas acceptés. Je prends pour exemple l’envie de mourir, ressentie par une majorité d’endeuillés à un moment ou un autre de leur deuil.
- Quand une jeune maman dit qu’elle a envie de mourir après la mort de sa petite fille de 2 ans, elle provoque une telle angoisse chez ses parents, son mari, ses frères et sœurs, ses autres enfants, que tous vont lui renvoyer ce qu’elle n’a pas envie d’entendre : « Tu n’as pas le droit de dire cela », penses à ton mari, tes autres enfants », « Tu as encore d’autres enfants, tu ne peux pas les quitter » etc…Témoins de ce chagrin sans fond, les autres enfants peuvent se demander à quoi sert leur présence puisqu’elle n’apaise pas la douleur de leurs parents : «  Je suis là , moi, mais je ne sers à rien » disait cet enfant de 6 ans après le décès d’une sœur plus jeune.
- Un père ou une mère devenu veuf ou veuve, va souvent ressentir la même envie mais ne va pas s’autoriser à la partager avec ses enfants. Malheureusement, le non verbal est parfois tellement criant et la sensibilité des enfants tellement à vif, que cela va devenir extrêmement pesant pour tous. C’est souvent un vrai soulagement de pouvoir nommer tout haut ce que tout le monde pense tout bas. Après le suicide de son mari, une jeune femme doit lutter contre sa belle-famille qui ne veut pas que les enfants connaissent la vérité au sujet du décès de leur père. Elle témoigne de l’apaisement de ses enfants le jour où elle leur a dit : « Papa s’est suicidé, et je ne sais pas pourquoi. Ce n’est pas de notre faute. Il nous aime et il veut que nous soyons vivants ! ».
Ø      Un repère : Les membres d’une même famille étant tous pris dans la tornade de la souffrance, ils ne sont pas forcément les mieux placés pour s’aider. L’intervention d’un tiers extérieur,  écoutant, bienveillant et compétent peut s’avérer indispensable. Les professionnels et les associations sont ce tiers extérieur. L’accompagnement associatif peut être une étape intermédiaire vers l’accompagnement professionnel. Cela peut faire moins peur d’aller parler avec un bénévole, que d’aller voir un professionnel. Et un accompagnement bénévole peut  déboucher sur une prise de conscience de la nécessité d’un accompagnement professionnel. Avoir apprivoisé, en sécurité, le fait que parler fait du bien, met de l’ordre dans le désordre du deuil, est une aide inestimable pour la personne en deuil. Enfin, lorsqu’elle veut sortir du cercle vicieux qui consiste à répéter en boucle que « Personne ne peut comprendre ce que je vis » et sortir de l’isolement, l’appartenance à un groupe d’entraide peut être aussi une aide sans pareille. On va vous en parler après mon intervention.
3)  La personne qui meurt laisse un grand vide. Ce vide pose un problème de place à chaque membre de la famille :
-         les enfants qui perdent un père ou une mère très tôt vont être tentés de le ou la « remplacer » auprès de leur parent en deuil  qui souffre, de le protéger.
-         De même, un jeune adulte qui perd son père ou sa mère, se retrouvera parfois dans une « obligation » de devenir le soutien de son parent en deuil au moment de sa vie où il serait normal qu’il s’éloigne de sa famille pour prendre son indépendance.
-         ceux qui ont perdu un frère ou une soeur  vont se demander comment reprendre ou garder  leur place dans ce nouvel ordre de la fratrie.
-         Le conjoint qui perd son conjoint se retrouve abandonné dans l’œuvre de construction entreprise ensemble. On ne peut être à la fois père et mère. Comment alors  gérer ce manque auprès des enfants ?
-         Les adultes qui perdent leurs parents se retrouvent à la position d’ « ancêtres » dans la famille, avec les devoirs que cela crée etc…
-         Face à la mort d’un petit-enfant, les grands-parents disent souvent que c’était leur tour de mourir et qu’ils se sentent coupable de survivre à cet enfant qui n’aura pas eu son dû de vie. Ils ne se sentent plus à leur place.
Ø      Un repère : la place de chacun est unique. Rien ni personne ne peut remplacer un être humain, et toute tentative de changer de place aboutira à une perte d’identité et des souffrances supplémentaires. Laissons à la personne morte sa place dans la famille et gardons la nôtre. Le troisième enfant sera toujours le troisième même si le deuxième décède, le deuxième conjoint épousé après un veuvage n’efface pas toute la richesse de la vie avec le premier conjoint.
4) Une attention particulière doit être portée aux enfants  dans une famille endeuillée. Ils entendent les paroles des adultes entre eux, mais ces adultes pensent rarement à s’adresser à eux pour leur demander comment ils vivent l’événement. De plus, par souci de protection,  on va souvent leur mentir ou les tenir à l’écart de ce qui semble difficile. C’est comme cela que se construisent les fameux « secrets de famille » qui pèsent parfois si lourds dans la vie de ceux à qui on cache la vérité.
Or,  pour pouvoir parler aux enfants en deuil, les adultes doivent avoir clarifié leurs propres points de vue sur la mort, et cela ne se fait pas sans travail ni sans souffrance.
Ø      Un repère : Considérer les enfants comme capables de comprendre et intégrer  un événement, aussi douloureux soit-il, et leur donner une information adaptée à leur âge afin qu’ils puissent rester acteurs et non passifs.
5)  le deuil et le temps. Nous vivons dans une société pressée. Les contraintes de nos vies professionnelles et familiales nous obligent à reprendre rapidement un rythme effréné et nous n’avons pas vraiment le temps de nous arrêter pour  suivre le processus de notre deuil. Au sein de notre famille, il est parfois très lourd et très angoissant d’accompagner un des membres qui ne va pas bien. Il faut que cela aille vite. Comme le dit Geneviène Jurgensen : « Les gens ne sont pas plutôt morts, les décombres ou les canons de fusil fument encore la catastrophe est à peine annoncée, les victimes ne sont pas encore dénombrées, l’épouvante commence seulement à s’épandre et hardi donc, il faut faire son deuil…Faire son deuil, c’est consommateur de temps, d’intelligence, d’égards et d’amour. On croit d’abord qu’il faut faire le deuil des mieux qui furent détruits, des gens qui vous furent arrachés. Et puis c’est de soi qu’un jour on découvre qu’il fait faire le deuil. Ce soi intact auquel il faut renoncer. Faire son deuil, c’est consentir à devenir quelqu’un d’autre ? Le contraire de l’évacuation, l’intégration. Avec votre permission, ce sera long ».[1]
Le temps peut devenir usant. C’est si  insupportable de voir ceux et celles que nous aimons aller mal. Au sein de la famille, nous allons donc devoir apprendre à nous laisser du temps les uns aux autres. Le temps des uns n’étant clairement pas celui des autres.
Nous avons envie que les choses reprennent leur cours, que tout rentre dans l’ordre. Et pourtant, l’après est irrémédiablement différent de l’avant. Cela nous amène à une autre réalité difficile à vivre en famille : l’impact du deuil sur une famille dure toute la vie. Et ce n’est pas facile à accepter, à intégrer.  Bien entendu, il ne conserve pas l’intensité insupportable du début, mais il reste présent dans nos vies, tel une cicatrice qui peut parfois se réveiller.
La vie d’une famille est faite d’ajustements permanents. Lorsque cette famille est endeuillée, les ajustements sont plus délicats car ils se font entre personnes souffrantes. Chaque étape de la vie familiale, heureuses et malheureuses (anniversaires, mariages, grandes fêtes de famille, décès, divorces, déménagements), va être l’occasion de refaire un bout de travail sur ce deuil qui ne finit pas. La cicatrice est là à vie ; elle démange plus ou moins,  se laisse parfois oublier, mais aussi se ré ouvre parfois, toujours de manière surprenante. Elle va parfois nécessiter de reprendre un accompagnement car elle déstabilise à nouveau les fondements. Dans notre famille, c’est la troisième enfant qui est morte à l’âge de 7 ans, il y a 25 ans. Deux autres enfants sont nés après ce décès et le lien entre les deux séries de deux enfants manque toujours à ce jour. Il y a  10 ans entre notre deuxième enfant et le quatrième. Nous avons vécu une forte réactivation de la souffrance de l’absence lors du mariage de nos deux aînés, de la naissance de nos 3 petits-enfants. Plus récemment, la maladie grave d’un de nos enfants est venue réveiller avec une force que nous avions oubliée, la  maladie et la mort de Géraldine. Cela m’a permis de constater que la mémoire du corps est incroyable et j’ai pu revivre physiquement et mentalement des scènes très vivaces d’il y a 25 ans. Tout ce que croyais soigné, guéri, classé, rangé, ressurgit comme un diable de sa boîte, et exige que je le retravaille.
Ø      Un repère : On peut toujours, même des mois ou des années après, décider de reparler de ce qui s’est passé, ou de ce qui se passe maintenant. On peut toujours vérifier avec les enfants où ils en sont par rapport à cet événement qui a atteint toute la famille. On peut enfin toujours nommer, mettre des mots : «  C’est émouvant cette première réunion de famille sans papa, ce premier Noël sans grand-mère. C’est insupportable cette première rentrée des classes sans notre enfant. ». Le mouvement est le signe du vivant et il est rassurant de constater que rien n’est jamais figé, pour vu que nous sachions mettre le mouvement en marche. Etre en deuil en famille, c’est accepter de devoir remettre 100 fois son ouvrage sur le métier pour reprendre le maillage familial  à l’endroit où il s’est arrêté et poursuivre le tissage des liens.
Conclusion.
Pour conclure, un séisme entraîne toujours un afflux de bonnes volontés juste après sa survenue.
 Puis les gens s’habituent. D’autres séismes surviennent qui relèguent le premier aux oubliettes. Toujours, dans tous les cas, il est suivi par une période de reconstruction et quelques bonnes volontés déterminées restent sur place pour faire avancer cette reconstruction.
Si nous reprenons l’image du séisme pour le deuil, il me semble qu’après l’afflux de témoignages de compassion et de présences du début, l’entourage semble oublier ce qui s’est passé. Une maman me disait : « Un an après,  la mort de mon enfant, est devenu une péripétie dans la vie des gens. Pour moi, c’est toujours la fin de ma vie… et je suis là, tentant de survivre. ».
C’est ici qu’intervient le soutien des bénévoles, qui continuent à offrir à la personne en deuil,  une présence dans la durée quand celle des autres s’estompe ou disparaît. et qui durent après de la personne en deuil.  En effet, la traversée de processus du deuil nécessite de la patience, de l’endurance, du courage et a besoin de beaucoup de tendresse, de chaleur, de bienveillance et d’écoute. Cette prise de conscience du séisme familial qu’occasionne un deuil est aussi un appel pour les associations à réfléchir aux propositions qui peuvent être faites aux différents membres d’une famille : les enfants, les adolescents, les parents, les grands-parents, les fratries. Palliaplus propose un éventail d’aie aux familles endeuillées et vous en parlera ce soir.
Dans son livre « Tom est mort »paru récemment, Marie Darrieussecq désigne les parents en deuil comme des « athlètes du chagrin ». Un athlète doit s’entraîner chaque jour, il doit mesurer ses efforts pour éviter qu’une blessure vienne interrompre son parcours, il construit sa résistance au jour le jour en répétant des gestes simples qu’il sait bons pour lui. Et un jour, les efforts à faire lui semblent moins lourds.
Il a autour de lui des coachs, des gens qui croient et espèrent en lui, des gens qui prennent soin de lui et lui facilitent l’entraînement !
J’aime cette image. Elle me parle et j’espère qu’elle vous parle aussi et vous aidera à devenir un athlète avec le temps, si vous êtes ce soir une personne qui souffre de l’absence d’un proche, et à aider de manière plus juste si vous cherchez à être une présence d’accompagnement  qui dure sur le chemin de la personne en deuil et de sa famille. !